Pourquoi l'Amandier
Texte de Pierre Leron Lesur

Septembre 2006

Tout d’abord, mes relations avec l’amandier remontent à mes plus jeunes années puisque mon bon-papa Victor Lesur nous conduisait souvent dans sa jardinière tractée par son cheval « Grisé », dans ses propriétés des Costières du Gard, plantées d’oliviers ou de vignes, cernées, en bordure d’amandiers.

 

Nous partirons vers le Puech Rouge au nord de Saint-Gilles, passant par la Valla de la Gaou, cheminant dans un chemin aux ornières semées de galets de silex secouant sans arrêt l’attelage, mettant les faibles ressorts à rude épreuve !

 

À la vue des premiers amandiers, afin de soulager le pauvre cheval, la première halte nous permettait de faire cueillette des amandes au sol, tombées à terre grâce au Mistral généreux. Nous n’avions aucune peine à les ouvrir entre deux galets, quelquefois fébrilement, blessant ainsi nos doigts inhabiles. Ses arrêts n’étaient pas toujours du goût du grand-père pressé d’entreprendre son dur labeur au service de ses cultures sous l’ardent soleil provençal, mais, par contre, ils faisaient le bonheur de Grisé qui bénéficia là d’un repos bienvenu. C’est donc à partir de ses fruits que j’ai pu apprécier avec délice l’amandier.

 

Quelques années plus tard, cheminant en vélo et remorque sur la route de Marseille, au sud de Saint-Maximin-la-Baume, à la recherche de bois de chauffage, mon regard a été attiré par un arbre mort, gisant tout près d’un oratoire appelé le Saint-Pilon. Je m’arrête, ouvrant ma sacoche, j’en retire ma scie égoïne et me mets en demeure de débiter cette trouvaille gisant là dans l’attente de ma venue, une chance inespérée, pour moi tellement bienvenue. Hélas, je n’en connaissais pas la résistance, c’était un amandier tellement dur que je dus le débiter à la scie à métaux. Je découvrais là une des qualités de ce bois, l’un des plus denses de France.

 

Quelle bonne braise j’aillais obtenir avec ces bûches si difficiles à débiter, mes efforts seraient largement récompensés par les futures grillades cuites à point. Arrivé dans mon atelier, au pied de la magnifique basilique inachevée, dans la rue Raspail, je détachais la souche du précieux tronc et tombais d’admiration devant la couleur de ce bois et les formes harmonieuses qui se dévoilaient à mes yeux éblouis.

 

En décembre 1953, me voici avec ma petite famille débarquant à Saint-Rémy-de-Provence, par un froid antarctique, boulevard Marceau, dans une maison depuis longtemps abandonnées mais, déjà avec un modeste atelier où je me suis vite attelé à la finition de cette structure en amandier fixée sur un galet de Durance et appelée depuis « l’Initiale ». Elle date donc de 1952 !

 

C’est en 1976, occupant depuis 1960 l’ancien Hôtel de Lubières, ayant accumulé une importante collection d’objets en bois découverts dans les Alpilles, le Lubéron, la basse Ardèche, l’Aveyron et le Gard, que j’ai pu montrer au public ces richesses, miroir de la Nature, dans leurs formes, leurs odeurs et leurs couleurs appelées un peu plus tard des « sylvistructures », les structures de la forêt !

 

Devant le succès reçu ) domicile, je me suis alors décidé de présenter ces oeuvres à l’extérieur à partir de 1982 : expositions à Nîmes, Troyes, Créteil, Sophia-Antipolis, La Sainte-Baume, en 1994, où j’ai sorti, enfin mon livre Chimère du bois à compte d’auteur, faisant suite à Colombiers et pigeonniers de France édité par Massin à Paris. Entre-temps, avec un groupe d’amis, nous avons créé une association : « Les Amis de l’Ancien Hôtel de Lubières », auquel s’est ajouté à l’adresse : « Maison de l’Amandier » en reconnaissance à cet arbre mythique qui, depuis, a pu réunir autour de nous une foule d’admirateurs et de promoteurs amoureux de ce végétal tellement admiré dans sa floraison hivernale précoce, unique au monde. Quel bel exemple que le magnifique tableau réalisé par Vincent Van Gogh pour la naissance de son neveu en février 1890, « Le Rameau d’amandiers en fleurs », suivi des oeuvre d’Edouard Manet, Henri Manguin, Pierre Bonnard, Léo Lelée, Yves Brayer, Pierre Dupuis, Henri Rivière, Blache Odin, Michelle Jouenne, Lizzie Napolie, Edmond Bernard, Jacques Renoux, Gérard-Victor André, Yan Van Naeltwijck, Marie-Paule et Antoine Lunetta, etc. dont on retrouve les oeuvres dans les deux livres édités sur l’amandier aux éditions Équinoxe sortis en 1996 et 2005, ce dernier réalisé par Gérard Rossini signant de nombreux mémoires sur les animaux, l’olivier, les appelants, etc.

 

Nous n’oublierons pas le souvenir de Paulette Becherel, auteur du premier livre précédé de la préface de notre amie, très attachée à notre arbre : Jacqueline de Romilly, toujours là pour nous accueillir chez elle avec toute l’affection qu’elle nous accorde.

 

À l’heure actuelle, à l’image de nos amis allemands qui possèdent des milliers d’amandiers chez eux, en bordure des vignes, nous avons offerts aux « Plus Beaux Villages de France » des centaines d’arbres, comme nous le faisons pour les villages des Alpilles, afin que bientôt, comme en Allemagne, des fêtes puissent se dérouler lors de la floraison, à la fin de l’hivers pour le bonheur de tous…

 

Nous pourrons alors, à la suite de notre grand ami Jean-Marie Hego, trop tôt disparu, dire :

 

Je me suis entiché d’un arbre,

C’est ridicule m’a-t-on dit,

Mais je suis resté de marbre,

Car le sage, c’est le « ravi » !